jeudi 12 décembre 2013

Record de froid mondial

Annonce vient d'être faite que le record de froid sur Terre est maintenant de -93.2°C :

Les records de froids sur Terre, d'après le NSIDC

Le communiqué original (en anglais) vient d'universités étatsuniennes :

http://nsidc.org/news/press/2013_ColdestPlace_PR.html

Prévisions Météo Belgique souhaiterait donner un peu le contexte de cette mesure, et la remettre en perspective.

Ce que nous savions déjà

Jusqu'à présent, le record de la température la plus basse mesurée par un thermomètre reste l'apanage de la base russe de Vostok. La température est descendue à -89.2°C le 21 Juillet 1983. Jusqu'à ces jours.

De même, les scientifiques se doutaient déjà très fortement que Vostok n'était pas l'endroit le plus froid du monde. Et ceci pour plusieurs raisons.

Géographiquement, Vostok est sur le bord Nord Est d'un vaste plateau à plus de 3500 mètres d'altitude. Il était raisonnable de supposer que plus au Sud, vers le Pôle, des régions abritées pouvait connaître des températures plus basses. Il est cependant impossible de couvrir la superficie de l'Antarctique de thermomètres juste pour trouver le point le plus froid de la Terre. Ce sont des régions très hostiles et relativement peu connues.

Cependant, depuis la fin des années 1970, des données satellites permettent également de mesurer de multiples paramètres atmosphérique, dont notamment la température. Par l'analyse de ces données, il était déjà possible de deviner que le plateau sur lequel se trouvait Vostok, pouvait connaitre des températures plus basses. Et ceci plus particulièrement dans une région au pied du dôme A (voir l'image).

De plus, l'air froid est lourd et tend donc à glisser dans les cuvettes. Si le vent est faible, cet air froid peut donc s'accumuler et continuer à se refroidir sur place. C'est ce qui est nommé familièrement par les passionnés de météorologie un "trou à froid". Pour prendre un exemple en Belgique, le record de froid a été enregistré à Rochefort le 20 Janvier 1940 avec -30.1°C. Ce n'est pas au sommet de l'Ardenne, mais bien dans le creux d'une vallée, que fut enregistré ce record... Ce n'est donc pas vers les sommets qu'il faut chercher les records, mais dans les creux du terrain à haute altitude.

Cette petite vidéo (en anglais...) de la NASA explique ce processus.



Ce que nous savons maintenant

C'est à partir de ces connaissances que certains scientifiques se sont mis en quête de la région la plus froide du globe. Ils ont pour cela utiliser deux satellites. Le premier est Aqua, avec un instrument nommé MODIS. Il a été mis en orbite en 2002 et fournit des données de grande qualité depuis 2003. Le second est Landsat-8, avec son instrument TRIS. Il a été mis en orbite et est disponible depuis 2013.

Les données fournis par ces deux vaisseaux spatiaux ont permis d'analyser très finement les flux d'énergie à la surface de la calotte glaciaire Antarctique. C'est ainsi que les scientifiques ont pu confirmer la présence d'une région encore plus froide que celle de Vostok. Dans des creux de terrain sous la crête entre le dôme F et le dôme A, l'air s'accumule en Hiver et peut atteindre des températures de -92°C à -94°C.

Il est pour autant important de tenir compte des points suivants.

Les températures reconstruites par satellite sont théoriquement comparable aux températures mesurées par thermomètre. Cependant, le processus d'acquisition des données restent fondamentalement différent.
Vostok garde la palme de la température la plus basse mesurée par thermomètre. Il risque de s'écouler encore de nombreuses années avant qu'une quelconque station puisse être déployé dans ces régions.

Une autre limite majeure est le manque de recul. Les données satellites ne sont disponibles avec une résolution suffisante que depuis 2003, soit 10 ans seulement. Cependant, les températures antarctiques sont en forte hausse avec le réchauffement climatique.
La température reconstruite la plus basse date de l'Hiver Austral 2010. Or, durant cet Hiver, Vostok est descendu à seulement -81.8°C, soit près de 8°C de plus que son record. Par comparaison avec cette station, il est pratiquement certain que la région au pied du dôme A ait été encore plus froide en 1983.

Cette découverte permet donc de progresser dans notre connaissance du climat. Plutôt que de dire que la température la plus basse sur Terre eut été mesurée, nous préférons dire que la région la plus froide a été trouvée. Le "véritable" record de température restera à jamais inconnu.


Modification du 13 Décembre 2013 à 15h00 :

Un fidèle lecteur nous a signalé un article en anglais d'un météorologue professionnel, Christopher C. Burt, sur son blog hébergé par wundergorund. Il résume bien ce que nous disions. Nous vous en proposons ici une traduction. Avant, nous allons préciser une notion qu'il utilise dans ces explications.

La température de peau ou la température de luminance est un concept qui peut sembler un peu barbare pour beaucoup. En réalité, les satellites ne mesurent pas une température. À la place, les satellites mesurent un flux d'énergie. Plus l'air est froid, moins il émet d'énergie. Il est donc alors possible de déduire la température de la pellicule d'air par l'énergie émise. D'où la notion de température de peau (skin temperature en anglais) ou de température de luminance (luminance temperature).

Ainsi que Jeff Masters écrivait sur blog le 10 Décembre, les données par satellite indiquent que la température de -93,2°C ( -135,8°F ) a été mesurée dans un endroit proche du Dôme Argus en Antarctique le 10 Août 2010, température plus froide que toute mesure en surface du continent gelé ( le record est de -89,2°C/-128.6°F à Vostok le 21 Juillet 1983). Malheureusement, de nombreux médias titraient "La température la plus froide mesurée sur Terre" pour annoncer la nouvelle. Ce n'est pas considéré cependant, à ce jour, comme étant un enregistrement «officiel» de la Terre. 
Les mesures par satellite des températures de peau ne seront jamais acceptés comme des observations «officielles» de la météo, peu importe le degré de précision que leurs données pourraient avoir.  
Vyacheslav Martyanov est le chef du centre de logistique de l'expédition antarctique russe. Comme il disait dans une interview pour RIA Novosti (une organisation russe d'information) : "Il est inexact d'annoncer un record de température sur la base de données par satellite. AVHRR et MODIS mesurent ce qui est appelé « la température de luminance », qui ne correspond pas entièrement aux véritables conditions météorologiques et doit être confirmée par des observations sur le terrain. 
La température de l'air est mesurée selon certains standards, à une hauteur de 2 mètres au-dessus du sol, comme il est fait dans les stations d'observation météorologique, donc la prise en compte d'une température mesurée par télédétection est irréaliste." 
Cela est vrai aussi bien pour la souvent citée "température la plus chaude sur la terre" de 70,7°C ( 159,3°F )  mesurée par MODIS en Juillet 2005 dans un région éloignée de tout dans le désert de Lut en Iran. 
Cela étant dit, le chiffre du capteur MODIS en Antarctique est probablement plus proche de la vérité que le chiffre du désert de Lut, puisque la chaleur rayonné par le sol du désert en Iran sera naturellement liée à des chiffres beaucoup plus chaud que ce qui aurait été observé dans un abri météo respectant les norme en vigueur au même endroit (N.d.T. : pour le dire plus clairement encore, la température mesurée est celle de l'air. Or dans ce cas, l'énergie rayonnée par le sol surchauffe a "aveuglé" le satellite, et il impossible de savoir quelle fut la véritable température de l'air). Cela n'aura pas été un problème dans l'Antarctique au cours de ses mois d'hiver. De plus, l'emplacement est à ou près du point le plus élevé sur le dôme continental de l'Antarctique à quelques 4000 m (environ 13 000 pieds). La station météorologique la plus proche de l'endroit où la température froide a été mesurée est celle du Dôme Argus ( également connu sous le Dôme A). Voir sur la carte ci-dessous :

 
Carte de l'Antarctique illustrant l'emplacement où les mesures satellitaires ont été prises par rapport au Dôme Argus et Vostok. Ted Scambos, National Snow and Ice Data Center. 
Malheureusement, je ne peux pas trouver les données de température pour le Dôme Argus que ce soit le 10 Août 2010 ou le 31 Juillet 2013 pour comparer aux données satellitaires. Cependant, Vostok (600 mètres -près de 2000 pieds- plus bas que le Dôme Argus et certes plus loin) a mesuré -110°F ( -78,9°C ) le 30 Juillet 2013 et -103°F (-75,0°C ) le 31 Juillet 2013. Le site le plus froid du réseau (N.d.T. : Réseau des stations météos automatiques, RAWS en anglais) pour la journée du 31 Juillet a été de -81,7 ° C ( -115,1 ° F ) à Davis Lab 46, situé à 75.51°S et 71.29°E et à seulement 2354 m (7700 pieds) d'altitude. On peut imaginer, par conséquent, qu'il est plus probable qu'il fit beaucoup plus froid au Dôme Argus ou au point de donnée par satellite à ces dates (mais sans certitude absolue compte tenu de la distance avec Vostok et Davis Lab 46). En outre, l'été dernier (2013) était l'un des plus chauds jamais enregistrés pour une grande partie de l'Antarctique, en particulier pour la région du dôme. Vostok n'est pas descendu en dessous de -80°C pour la première fois (le début des relevés date de 1957) et la même chose est vrai pour le Dôme Fuji. Cela soulève la question de savoir pour quoi ce petit point de données par satellite semble avoir résisté à cette tendance (d'un hiver exceptionnellement chaud sur le dôme) et encore se montrer avec une température si loin des observations sur la surface de la Terre ! 

Une photographie de la station météo au Dôme Argus ( Dôme A) prise peu de temps après son installation en 2005. Crédit photo : CHINARE et Le site web du Bureau de la Météorologie d'Australie. 
Depuis l'installation d'une station au Dôme Argus en 2005, la température la plus froide mesurée fut «seulement» de -82,5 ° C ( -116,5°F ) en Juillet 2005 (bien que ce soit pour la période allant de seulement 2005 à 2010). On peut supposer que l'un de ces jours, il est presque certain que le Dôme Argus ou l'une des autres stations de réseau en haute altitude vont réellement mesurer une température plus froide que Vostok.

Christopher C. Burt

Historien météo
http://www.wunderground.com/blog/weatherhistorian/