dimanche 1 juin 2014

2014-2015, dans les larmes et le sang

Alors que le réchauffement climatique continue son oeuvre au noir, dans le Pacifique un événement El Niño se met en place. Que nous réserve alors ces deux années 2014 et 2015 ?

L'année 2014, déjà bien mal entamé


Depuis le début de l'année, les événements extrêmes sont récurrents. Nous vous avions déjà parler dans un billet précédent de l'Hiver 2014. Depuis, les bizarreries climatiques s'accumulent encore et encore. Nous vous parlions d'inondations en Europe, de sécheresse en Californie et au Brésil. Et bien deux mois plus tard rien n'a changé. Après le Royaume-Uni, les Balkans viennent de subir des crues historiques, la Californie brûle, et le Brésil est toujours en difficulté avec la sécheresse. En plus, nous pouvons ajouter que la Sibérie brûle à son tour, que l'Australie a eu bien chaud, et que la Chine va avoir bien chaud. Nous nous proposons ici de détailler les éléments nouveaux qui sont apparus depuis cet Hiver, pour essayer ensuite de dégager une vue ensemble et envisager certaines perspectives pour cette fin d'année et l'année prochaine.

L'enneigement de l'hémisphère, déficitaire


Dans la continuité des années précédentes, l'enneigement au printemps continue de reculer très rapidement en Sibérie et au Canada. Ce graphique illustre l'extension de l'enneigement début Mai, durant la semaine 18 : 

Extension en kilomètres carré de l'enneigement de l'Hémisphère Nord ( HN ) pour la semaine 18, de 1968 à 2014. Source Université de Rutgers : http://climate.rutgers.edu/snowcover/
Si 2014 ne se positionne pas spécialement bas, cette année reste dans la tendance des années récentes.
Cette régression précoce de l'enneigement a plusieurs conséquences. En premier lieu, la neige a un très bon albédo. Autrement, elle réfléchit efficacement la lumière visible. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire de porter des lunettes de Soleil même pour aller au ski. La neige est aveuglante, car elle renvoie toute l'énergie lumineuse qu'elle reçoit. Cette énergie est alors dispersé vers l'espace, elle est perdue. La neige maintient donc les régions qu'elles couvrent au froid. La Sibérie et l'Alaska, ayant été dépossédé en avance de cette couverture "isolante", on particulièrement chauffé ce Printemps.

En première conséquence, les deux régions connaissent alors des incendies de forêt inhabituellement violent et précoce. 
Incendie de forêt en Sibérie (localisation en haut à gauche) le 6 Mai. Source Rapid Response :  http://lance-modis.eosdis.nasa.gov/cgi-bin/imagery/gallery.cgi
Les incendies de forêt dispersent d'épais panaches de cendre, d'ailleurs bien visible sur cette image. Dans l'atmosphère, les cendres tendent à absorber le rayonnement solaire. Elles ont donc tendance à s'échauffer au détriment des couches inférieurs de l'atmosphère, ce qui peut avoir un effet refroidissant (effet qui n'est pas de même nature que la neige cependant). Pourtant, ces cendres sont rapidement lessivés par les précipitations. Et les recherches récentes, notamment le Dark Snow Project, tendent à montrer que le dépôt des cendres sur la neige accélère sa fonte.

Cependant, la quantité d'énergie accumulé a aussi un impact direct sur l'Hémsiphère Nord en permettant son réchauffement. De plus, ce sont les latitudes nordiques qui se réchauffent. Cette évolution tend à affaiblir le gradient de température entre l'Arctique et l'équateur. Cette affaiblissement du gradient de température est responsable d'un ralentissement du jet d'Ouest, qui méandre et tend à former de larges boucles.

Les tropiques, en ébullition

Une autre cause de la perturbation de la circulation atmosphérique mondiale est à chercher dans les tropiques. Le Pacifique tropical est actuellement en bonne voir pour connaitre un phénomène cyclique qui est nommé El Niño. Vous pouvez voir ici notre explication au sujet de ce phénomène :

Rappelons brièvement que l'El Niño se caractérise par un réchauffement considérable considérable du Pacifique tropicale, et surtout de la partie Est du bassin. Depuis l'année dernière, les eaux chaudes se sont accumulés au niveau du Pacifique Ouest. Ce renforcement de la piscine d'eau chaude est un des éléments précurseurs d'El Niño. Comme une onde qui se propage sur une corde, une des signature d'El Niño sont des ondes océaniques qui se propage d'Ouest en Est. Elles sont matérialisés par une accumulation d'énergie sous forme d'une réserve d'eau chaude qui se propage et s'étale à la surface du Pacifique et se nomment ondes de Kelvin Océanique. En 2013, la piscine d'eau chaude du Pacifique Ouest aura été particulièrement... chaude et humide, sans mauvais jeu de mot. Et cette accumulation d'eau est actuellement en train de se propager vers l'Est, avec  le développement de fortes anomalies positives de températures. Il s'agit là d'un des premiers signes de l'El Niño en développement :

Anomalie des températures de la surface des Océans. Source OSPO : http://www.ospo.noaa.gov/Products/ocean/sst/anomaly/index.html


Ce renforcement de la piscine d'eau chaude du Pacifique Ouest aura aussi eu pour conséquence un renforcement de la convection tropicale au niveau du continent maritime cet Hiver. Le typhon Hayian, au mois de Novembre 2013, par exemple, n'aura pas été étranger à des anomalies de températures positives de l'océan, qui s'étendait sur plusieurs centaines de mètres de profondeur.

Par des mécanismes assez complexes, ce renforcement de la convection tropicale dans le Pacifique Ouest a pu favorisé un schéma de circulation atypique. Aux moyennes latitudes, le jet stream en altitude tend à souffler d'Ouest en Est, et c'est tout aussi vrai pour le Pacifique aux latitudes des USA. Cependant, lorsque la convection tropicale se trouve ainsi renforcé, le jet tend à former de larges courbes, et à venir se bloquer dans un schéma de circulation plutôt Nord-Sud que Ouest-Est. Les recherches les plus récentes tendent à montrer que le réchauffement anormale du Pacifique Ouest a aussi contribué à amplifier l'activité ondulatoire planétaire. Et comme le réchauffement climatique imprime une tendance de hausse des températures en plus de cette variabilité naturelle, l'année 2013 aura été d'autant extrême. L'année 2013, en tant qu'année durant laquelle c'est initié l'El Niño, a tout naturellement connu un réchauffement du Pacifique Ouest. Celui-ci a cependant été amplifié par la tendance du réchauffement climatique.

Une étude récente a ainsi identifié un schéma de circulation dipolaire sur le Pacifique et l'Amérique. Il est constitué d'une anomalie haute ( pressions et températures élevées ) sur la façade Ouest de l'Amérique du Nord, et d'une anomalie basse ( pressions et températures faibles ) sur le continent. Ce dipôle est renforcé l'année précédent un El Niño, mais tend aussi à s’amplifier au fil des années avec le réchauffement climatique.

Schéma du dipôle et évolution de son intensité. Les acronymes pour le graphique se réfèrent à la part de l'évolution dû aux gas à effet de serre ( GHG ), la part dû aux facteurs naturels ( NAT ) et l'évolution observé ( OBS ). Source : http://news.cisc.gmu.edu/doc/CA_drought_research.pdf


Pluies diluviennes dans les Balkans

Nous avions déjà tenter d'expliquer pourquoi les événements extrêmes se multiplieraient avec le réchauffement climatique, sans avoir ne serait-ce qu'à considérer l'évolution du courant-jet. En effet, un air plus chaud peut contenir plus de vapeur d'eau, environ 6% à 7% en plus par degrés Celsius. Une explication vous avez été proposée ici même :

http://previsionsmeteobelgique.blogspot.fr/2014/02/waterworld.html

Si un air plus chaud peut contenir plus d'humidité, alors le cycle de l'eau se trouve accélère. L'eau quitte plus facilement la surface car l'air peut en accueillir une masse plus importante, ce qui provoque des sécheresses. Et lorsque la vapeur atmosphérique se condense en pluie, l'air contenant une masse plus importante d'eau les pluies sont d'autant plus violentes. Dans notre expérience courante, nous en avons l'intuition. L’Été, le Soleil et les températures élevées assèche plus facilement le sol. Il suffit parfois d'un jour ou deux pour qu'il ne reste plus aucune flaque d'eau après une bonne pluie l’Été, alors qu'en Hiver les sols restent humides bien plus longtemps, même si le temps reste sec.

Dans le monde, le même processus est à l'oeuvre. Après l'Europe du Nord-Ouest, ce sont les Balkans qui viennent de subir une succession de passages pluvieux qui a provoqué les pires inondations qu'aient connu la région depuis au moins 120 ans. Les cumuls de précipitations sont proprement diluviens, comme le montre cette carte :


Localement, les cumuls ont même dépassé les 200 millimètres sur la semaine, ce qui n’apparaît pas sur la carte qui reste assez "générale" et large dans son approche. La ville de Tusla a ainsi collecté 256 millimètres, soit 0,26 mètres d'eau par mètre carré, en 7 jours seulement :


Pour mesurer l'importance du chiffre, à Uccle, depuis le début d'année, il n'est tombé que 230 millimètres depuis le début d'année. Les conséquences ont été terribles, un ministre avançant même une comparaison avec la guerre en Bosnie. Si la relative pauvreté des deux pays a aussi été un facteur aggravant, augmentant la vulnérabilité aux risque, il n'en reste pas moins qu'un tel épisode :


Même si cela ne semble pas nous affecter directement, nos impôts, via l'Union Européenne, serviront en partie à soutenir la Bosnie et la Serbie. La Bosnie particulièrement sera incapable de se relever sans une aide extérieure massive.

Sécheresse en Californie

Pour la Californie, la situation ne s'arrange absolument pas. Les mois de Mars et Avril auront été un peu plus arrosés, tout en restant déficitaire. Le déficit hydrologique ne fait donc que s'aggraver au fil des semaines.

Sécheresse aux USA. Source Dought Monitor : http://droughtmonitor.unl.edu/
De plus le Texas est également touché. Le climat du Texas et de la Californie sont assez différents. Si la chaleur domine l’Été pour les deux Etats, la Californie connait un climat méditerranéen, comme dans le Sud-Est de la France, mais très prononcé. Les précipitations dans la région sont inexistantes de Mai à Septembre. L'Hiver est donc une saison cruciale qui permet de reconstituer les réserves d'eaux avant la saison sèche. Sauf que cette année, l'Hiver aura été lui aussi fort sec. Il ne sera par exemple tomber que 8.8 inches à San Francisco, soit 224 millimètres (moins qu'en Bosnie en 4 jours...). Notons aussi que le cumul n'augmente pratiquement sur les mois de Juillet à Octobre (à gauche) et les mois de Mai à Juin (à droite), ce qui signe le climat méditerranéen. Il ne pleut qu'en Hiver :

Données climatiques de l'aéroport de San Francisco. Source NWS San Francisco Bay/Monterey : http://www.wrh.noaa.gov/climate/temp_graphs.php?stn=KSFO&wfo=mtr

Pour le Texas par contre, les pluies se produisent préférentiellement en Été. La situation a donc encore une chance de s'améliorer, bien que les prévisions soient assez pessimistes.

La Californie est ainsi la proie d'incendies de forêts particulièrement violent pour la saison. Les conséquences sont parfois curieuses, comme cette "tornade de feu" filmé mi Mai non loin de San Diego. Le terme de "tornade de feu" est impropre, puisqu'il s'agit d'un tourbillon de flamme, le terme de tornade se référent à un quelque chose de très spécifique.



 Cependant, en dehors de cette anecdote, les conséquences risquent d'être dramatique. Lors de la dernière sécheresse en Californie, au tournant des années 2000, San Diego avait été assiégé par les incendies et l'événement a été nommé littéralement "le siège de feu de 2003". Au final il y avait plus de peur que de mal en 2003. Il n'est pas garanti cependant qu'une situation d'encerclement d'une grande agglomération puisse être contrôlé à chaque fois.
En dehors de ces spéculations, la sécheresse en Californie aura un impact économique majeur. Outre les incendies, le secteur agricole a une grande importance en Californie. La plupart des fruits et légumes aux USA sont produit dans le centre de la Californie.

Et après ?

Les années 2014 et 2015 seront deux années délicates d'un point de vue climatique. La poursuite du réchauffement global, et le développement d'un événement El Niño, sont sur le point de se conjuguer pour donner un duo explosif.

Durant le dernier El Niño, pendant les années 2009 et 2010, les perturbations climatiques avaient eu de lourdes conséquences. L'Amazonie avait souffert d'une grande sécheresse. La Russie européenne avait connu son Été les plus chaud et le plus sec depuis des siècles (vous pouvez consulter aussi Wikipedia en anglais : http://en.wikipedia.org/wiki/2010_Northern_Hemisphere_summer_heat_waves ). En comparaison, cet événement avait été encore plus extrême que la canicule de 2003 en Europe de l'Ouest, l'influence du changement climatique ayant eu une influence notable. Dans le sillage de cette canicule, le prix des matières premières avaient flambé eux aussi, contribuant in fine à déclencher le Printemps Arabe ( "printemps" qui dure maintenant depuis 3 ans... ) et à des crises de subsidences dans plusieurs pays.

En premier lieu, le phénomène El Niño provoque une hausse temporaire des températures globales qui se superpose à la tendance du réchauffement. L'année 2014 pourrait ainsi être l'une des plus douces, alors que 2015 est pratiquement assuré de battre le record. Prévisions MétéoBelgique vous présente ici une prévision de l'évolution des températures pour la planète. Cette prévision reste plutôt indicative. Il est impossible de savoir comment évoluera précisément l'El Niño. De plus, une éruption volcanique pourrait interrompre cet envolée. Cependant, sauf grosse surprise, la trajectoire suivie par les températures sera assez proche de celle présentée :

Températures observé par l'UAH en orange (source : http://nsstc.uah.edu/climate/ ) et son modèle en bleu.

Cependant, il s'agit là d'une moyenne globale, et derrière cette moyenne peuvent apparaître des réalités bien diverses. Prévisions MétéoBelgique estime ainsi qu'il est probable qu'une portion des terres de l'Hémisphère Nord connaisse à nouveau une canicule sans précédent. Le centre et l'Ouest des USA sont particulièrement exposé, ainsi que l'Europe de l'Est. Nous ne parlons cependant pas là seulement d'une canicule. La variabilité du climat fait qu'il y en aura toujours une quelque part. Nous envisageons un événement de grande ampleur et sans précédent comme a pu l'être l'été 2003 en Europe de l'Ouest ou l'été 2010 en Russie ; avec des conséquences socio économiques durable et marquées.

En tout état de cause, nous nous attendons à nouveau à de sévères turbulences climatiques en 2014 et 2015. Prévisions MétéoBelgique vous tiendra bien sûr au courant !