samedi 6 octobre 2012

Entre banquise arctique et cyclones tropicaux : un mois de septembre très particulier


Introduction


À travers ce billet, nous voudrions montrer que la fonte de la banquise, Nadine, et les événements météorologiques de Septembre, sont bien liés et procèdent d’une même perturbation généralisée de la circulation atmosphérique de l’Hémisphère Nord. Dès l’introduction, précisons qu’il n’est absolument pas question ici d’établir un lien direct entre le réchauffement climatique et les évènements météorologiques des dernières semaines. La variabilité naturelle du climat a toujours amenée des périodes de temps extrêmes, et nul ne peut dire que le réchauffement a causé la sécheresse ou l’ouragan. Cependant, nous pouvons être sûrs que le réchauffement a tenu un rôle dans la survenue de ces récents évènements.  Tel que nous le développions dans le premier billet, la perte de la banquise arctique est un accélérateur du changement climatique. Et les conséquences sur la circulation atmosphérique sont à la démesure de la fonte massive de cette glace de mer. Nous voudrions donc ici, après les généralités du premier billet, discourir plus spécifiquement de ce mois de Septembre, montrer que Nadine est un cas unique dans l'histoire connue des cyclones tropicaux, et montrer que l’évolution rapide de la situation en Arctique a atteint un point de basculement, avec des conséquences sur tous les autres systèmes physiques qui lui sont adossés.



Nous parlions précédemment de l’impact du retrait de la banquise Arctique : 

D’autres facteurs concourent cependant à perturber la météorologie de l’Hémisphère Nord. Et font que la réponse au réchauffement climatique n’est pas simplement un temps plus chaud en moyenne. Ces autres facteurs sont le retrait plus précoce de la neige au Printemps, et la modification de la convection tropicale.
Nous ne parlerons pas ici de la fonte de Printemps des neiges, qui a un impact similaire à celui de la perte de la banquise. Notons cependant que des scientifiques soulignent que la sécheresse aux États-Unis est plus directement une conséquence de la perte des neiges de Printemps que de la perte de la banquise, mais l’un dans l’autre cela reste deux facettes des mêmes mécanismes physiques qui entretiennent l'amplification Arctique.

En Septembre, la circulation atmosphérique de l’Hémisphère Nord a ainsi été profondément perturbée, et nous aimerions alors mettre en lumière la succession des évènements météorologique qui a affecté l’Europe de l’Ouest en ce mois, afin d’illustrer de manière concrète les théories scientifiques. Pour en revenir à ce que nous disions, l’acteur majeur a donc été la perte de la banquise, mais les anomalies de la convection tropicale ont également eu une influence importante. 


Avant de développer plus avant notre propos, nous voulons ici présenter une vidéo qui résume l’opinion de quelques scientifiques au sujet de l’état de l’Arctique, traduite par Prévisions Météo Belgique en français :



Notons aussi que Jennifer Francis estime dans une autre interview que « le système a basculé de manière si importante que nous sommes réellement dans un tout nouvel état pour le système Arctique », et rejoint ainsi l'opinion du Docteur Stroeve. C'est pour cette raison que la vidéo s'intitule "A new climate", c'est-à-dire "Un nouvel état climatique". Au mois de Septembre, le climat a basculé. 


Fonte de la banquise Arctique


La banquise arctique est cette mince de couche de glace a la surface de l’Océan. Elle atteint son maximum d’extension en Mars, et son minimum d’extension en Septembre. La fonte de la banquise Arctique a été massive cette année, de telle sorte que tous les précédents records ont été battus, parfois dès le mois d’août. Durant le mois de Septembre, il manquait environ la moitié de la normale en terme de superficie ; et les trois quarts en terme de volume.
Ce graphique présente ainsi le volume de la banquise minimale pour chaque année. Physiquement, le volume est le paramètre le plus pertinent pour suivre l’évolution de la banquise. Or, il présente une diminution très importante. La courbe rouge est une modélisation statistique qui vise à décrire le comportement futur le plus probable.

Volume minimale de la banquise (survenant typiquement aux alentours du 10/15 Septembre) d'après les données du PIOMAS : http://psc.apl.washington.edu/wordpress/research/projects/arctic-sea-ice-volume-anomaly/


Et si nous observons la superficie de l’Océan couverte par la banquise, nous observons bien le très fort recul de cette extension.

Superficie moyenne de la banquise durant le mois de Septembre, au sens du NSIDC : http://nsidc.org/arcticseaicenews/2012/10/


Ce recul a permis une très forte accumulation d’énergie dans l’Océan. En effet, la banquise, très blanche, réfléchit la majorité du rayonnement solaire ; alors que l’Océan, sombre, absorbe ce rayonnement et se réchauffe d’autant. Ainsi, le long des côtes canadiennes, les eaux ont ponctuellement atteinte 12°C à 14°C pour une normale de 2°C environ durant le mois d’Août. Ceci illustre bien l’impact de la perte de la banquise, qui est une véritable barrière énergétique quand elle est présente.

Anomalies des températures de surface de l'océan en Août 2012. Notons un anneau d'anomalie de l'ordre de 4 à 8°C là où la banquise est habituellement présente. Source : http://www.esrl.noaa.gov/psd/data/reanalysis/reanalysis.shtml


Cette énergie se dissipe alors à l’Automne venu, et contribue à réchauffer l’atmosphère. Ainsi, au cours du mois de Septembre, les températures de surface ne se sont pas refroidies, mais au contraire se sont maintenues stables, alors que l’Arctique entrait dans la nuit polaire. Les températures n’ont alors eu aucun mal à battre le précédent record de 2003. Ce graphique l’illustre, avec les données de la température de surface au nord du 65°N depuis 1949.

Température moyenne en Août et Septembre de surface dans l'Arctique. Source : http://www.esrl.noaa.gov/psd/data/reanalysis/reanalysis.shtml


Le flux d’énergie, c’est-à-dire la puissance, ainsi généré est équivalent à la présence d’une ampoule à incandescence placé chaque mètre carré dans l’Arctique. En Septembre 2012, l’Arctique est devenu une source d’énergie capable de stabiliser la baisse des températures malgré le cycle saisonnier. Pour illustrer, nous pouvons regarder la température de la masse d'air (vers 1500 mètres d'altitude) dans l'Arctique

Températures quotidienne à 850 hPa (environ 1500 mètres) pour la même zone géographique. Remarquons qu'en 2012, les températures ont été stable jusqu'au 20 Septembre environ, au lieu de se refroidir, grâce à l'énergie libérée par l'Océan. Source : http://www.esrl.noaa.gov/psd/data/reanalysis/reanalysis.shtml

De plus, l’énergie accumulée mettra beaucoup de temps à se dissiper. Notons par exemple qu’au large des côtes Canadiennes, les eaux sont encore à des températures de 4°C à 6°C, et qu’il faudra encore au moins un mois et demi avant de revenir ne serait-ce qu’au point de congélation en surface, en sachant que l’énergie accumulée en profondeur restera probablement présente.   
La remarque du docteur Francis et du Docteur Stroeve est ainsi tout à fait justifiée. Le système Arctique a profondément évolué, et commence à se comporter comme un Arctique périodiquement libre de glace. Les conséquences de l’effondrement de la banquise Arctique deviennent donc particulièrement sensible. 


Nadine


Nadine s’est finalement dissipée le 04 Octobre, après une histoire météorologique rocambolesque. Nous retiendrons bien sûr sa très longue durée de vie, qui fait de Nadine un des cyclones tropicaux les plus persistants de l’Atlantique. Il a ainsi existé pendant 21.75 jours (non consécutifs), soit la cinquième plus longue durée de l’histoire des records de l'Atlantique Nord. Nous irons cependant plus loin en disant que Nadine est même un cas exceptionnel qui n’a pas de réel précédent dans l’histoire connu des cyclones tropicaux.
Les cyclones tropicaux n’adoptent pas le même comportement lorsqu’ils sont dans la zone tropicale au sens météorologique, et lorsqu’ils en sortent. Sous les tropiques, les cyclones tropicaux se déplacent plus lentement, généralement d’Est en Ouest, s’intensifient plus facilement, et durent plus longtemps. Au contraire, en dehors des régions tropicales, les cyclones tropicaux se déplacent rapidement, généralement d’Ouest en Est, et sont à enclin à persister plus qu’à s’intensifier. Le comportement de Nadine, à savoir son déplacement lent d’Est en Ouest, son intensification en ouragan, sa très grande persistance, est typique de celui d’un cyclone tropical sous les tropiques au sens météorologique.  Or, les précédents ouragans croisant dans les parages des Acores n’avaient jamais adopté un tel comportement. Les quelques cas approchant plus ou moins ce que nous a fait Nadine sont l’Ouragan Emily de 1976, l’Ouragan Ivan de 1980, et la tempête tropicale Edouard de 1990.

Comparaison des trajectoires des ouragans Nadine (2012) et Ivan (1980). Ivan est le meilleur analogue mais n'approche pas les caractéristiques de Nadine, en restant plus plus au Sud et en s'évacuant plus rapidement. Source : Storm Advisory


Les archives des cyclones tropicaux remontent jusqu’en 1850, mais il n’est pour autant pas possible de trouver un seul cyclone tropical qui soit comparable à Nadine. Ainsi, cet ouragan très particulier est sans doute une illustration de la remontée vers le nord de la zone de convection tropicale. 
En effet, il existe sous les tropiques une circulation zonale, c’est-à-dire dans le sens Est/Ouest ou dans le sens Ouest/Est, qui est appelé la circulation de Walker. De même, il existe une circulation dans le sens Nord/Sud ou Sud/Nord qui est appelé la circulation de Hadley. Ces deux circulations, sous l’effet du réchauffement climatique, ralentissent sensiblement. De plus, la circulation de Hadley tend à s’élargir, et la convection tropicale à remonter au Nord. Cette perturbation de la circulation de Hadley et de Walker impacte également la propagation des ondes planétaires dont nous parlions dans le premier article du blog.  La littérature scientifique a déjà documentée avec détail un élargissement et un affaiblissement de la cellule de Hadley.

Les illustrations sont généralement en anglais... Nous avons donc modifié une image de Nature. La cellule de Hadley se situe de part et d'autre de l'équateur et constitue la zone tropicale au sens météorologique qui couvre grossièrement une surface un peu plus grande que les tropiques au sens géographique.


La particularité de Nadine est donc d’être une illustration de cette dynamique. Les cyclones tropicaux sont des entités particulières dans le bestiaire des phénomènes météorologiques. Ils sont en effet caractérisés par des effets de seuils très important, tout en étant peu fréquent mais relativement facile à suivre. Ainsi, l’élargissement de la cellule de Hadley est un phénomène continu qui ne peut être détecté que par des moyens sophistiqués. Par contre, le bond vers le Nord de la zone tropicale qu’illustre Nadine est visible par tout le monde et est sans précédent depuis au moins 160 ans.

L'ouragan Nadine au Sud-Ouest des Azores, le 17 Septembre. Source : http://www.ssd.noaa.gov/


De plus, les péripéties de Nadine, en dehors de son aspect illustratif, ont eu des impacts très concrets pour l’Europe de l’Ouest, comme nous allons le voir. Notons que, contrairement au recul de la banquise qui a des conséquences ubiquitaires, les aventures de Nadine sont restées un problème local. Le facteur dominant de la perturbation du climat durant l'année 2012 a été le retrait très précoce la couverture neigeuse, puis l’effondrement de la banquise.


Le mois de Septembre pour l’Europe de l’Ouest


L’amplification Arctique a fortement perturbé la circulation atmosphérique de l’Hémisphère Nord. Cette carte présente l’altitude du géopotentiel 500 hPa, c’est-à-dire simplement l’altitude à laquelle la pression est égale à 500 hPa dans l’atmosphère (pour rappel, la pression de surface est 1 013 hPa et décroît avec l’altitude). Cette altitude dépend en grande partie de la température.

Altitude du géopotentiel 500 hPa en Septembre 2012. Source : http://www.esrl.noaa.gov/psd/data/reanalysis/reanalysis.shtml

Normale de l'altitude du géopotentiel 500 hPa. Source : http://www.esrl.noaa.gov/psd/data/reanalysis/reanalysis.shtml

Nous pouvons de nouveau noter que le mois de Septembre a été marqué par des ondulations à travers l’Hémisphère Nord, mais également par une remontée vers le Nord de la zone tropicale (couleur rouge et orange plus marquée et plus au Nord).  Pour l’Europe de l’Ouest, nous pouvons noter un basculement des bas géopotentiels (couleur bleues) en notre direction, alors que les hauts géopotentiels remontent vers le Groenland. Ce schéma de circulation tend à devenir récurrent ces dernières années, et de lourds soupçons pèsent en faveur d’un lien avec l’évolution du système climatique Arctique. Par ailleurs, cette tendance complexifie grandement la prévision saisonnière, car elle n’était absolument pas prévue, et en l’état actuel de nos connaissances, n’aurait pas du survenir dans les conditions qui ont été celles du mois de Septembre. Nous naviguons donc en plein inconnu, remettant en cause les tentatives de prévisions saisonnières…
Ainsi, le temps pour l’Europe de l’Ouest aura été dominé en ce mois de Septembre par une circulation d’air maritime ou polaire.  

En bonus, cette vidéo de l’Eumetsat illustre notre mois de Septembre, vu de l’espace, pour l’Europe :




Karin


Karin a une histoire fortement influencé par la tempête tropicale Nadine. L’origine de Karin peut être remontée à une interaction entre la masse d’air tropicale en circulation autour de Nadine, et un creux barométrique d’altitude (une zone de basses pressions sans circulation fermée). L’image du 21 Septembre met en évidence cette origine partiellement tropicale de Karin (noté ici « 1 », elle n’était alors qu’en cours de formation et sa dénomination non connue à la date de modification de l’image) :

Nadine et la future tempête Karin, le 21 Septembre. Source : http://www.ssd.noaa.gov/


Par la suite, sur cette image un peu particulière qui représente le contenu en eau de l’atmosphère, nous pouvons noter un panache d’humidité tropicale qui alimente Karin :

L'interaction entre Nadine et Karin, le 23 Septembre 2012. Source : http://tropic.ssec.wisc.edu/


Cette injection d’air chaud et humide renforcera le conflit de masse d’air dans un contexte de descente d’air polaire récurrent que nous avons soulignons précédemment. De plus, c'est ce qui a compliqué la prévision. L'interaction entre Nadine, qui est de nature tropicale ; et les systèmes météorologiques des latitudes moyennes ; a été particulièrement délicate à gérer. Cette injection d'air tropicale chaud et humide a grandement renforcée le conflit de masse d'air. Ainsi, si Karin n’aura pas été spectaculaire et n’a pas provoqué de dégâts notable, celle qui a affecté l’Europe du Nord-Ouest du 23 au 26 Septembre a cependant pu soutenir des vents de force 10 sur l’échelle de Beaufort – c’est-à-dire au moins 90 kilomètres par heure- ce qui peut la faire qualifier de « tempête ». Des rafales entre 110 et 115 kilomètres par heure ont été enregistrées en Mer du Nord et sur la côte Ouest des Pays-Bas le 24 Septembre. À Ijmuiden a été relevé une valeur de 116 km/h, et sur une plate-forme pétrolière une valeur de 108 km/h.
Karin est d'ailleurs remarquable pour être la plus forte tempête depuis 30 ans durant le mois de Septembre au Pays-Bas.


Inondations en Espagne


Durant les journées du 27 au 29 Septembre, des pluies diluviennes ont dévasté le Sud de l’Espagne. Les fortes précipitations sur le Sud de l’Espagne sont dues à la conjonction de deux entités météorologiques. 
D’une part, une goutte froide -c’est-à-dire une dépression d’altitude coupée de la circulation atmosphérique avec une masse d’air froide isolée en son sein- alimentées par les descentes polaires récurrentes s’est positionnée durant les derniers jours de Septembre sur le Sud de l’Espagne.
D’autre part, la remontée très anormale de Nadine vers le nord a généré un flux d’humidité tropicale en direction du Sud de l’Espagne.
L’animation du jour précédent, le 26 Septembre, montre bien la descente polaire au large de la Bretagne. De même, Nadine à l’extrême Ouest de l’image génère un panache de convection tandis que l’air polaire descend depuis la Norvège à travers la Grande Bretagne jusqu’à l’Espagne :

Animation des images satellites du 26 Septembre 2012.


Sur les cartes du contenu en eau de l’atmosphère, nous remarquons à nouveau une anomalie très marquée qui remonte à Nadine.

Flux d'air tropicale humide en direction de l'Andalousie, généré par Nadine, le 27 Septembre 2012. Source : http://tropic.ssec.wisc.edu/



Conclusion

 Ici, nous nous sommes focalisés sur l'Europe en ce mois de Septembre. Cependant, les effets de la perturbation de la circulation atmosphérique se font bien-sûr ressentir ailleurs. La sécheresse aux États-Unis persiste. En Inde et au Pakistan, la saisons des pluies, appelée la mousson, a d'abord été anormalement sèche, puis s'est brusquement intensifié en ce mois de Septembre, provoquant des inondations dévastatrices et meurtrières. Ainsi, les effets du changement climatique deviennent de plus en plus sensibles. La difficulté conceptuelle est sans doute que la réponse n'est pas simplement un réchauffement linéaire. Les sécheresses comme les inondations sont par exemple plus fréquentes, ce qui n'a rien de contradictoire. Le ralentissement de la circulation atmosphérique provoque des blocages plus fréquents, qui sont associés à des évènements extrêmes. Pour reprendre l'expression d'un blogueur anglophone, "l'âge des conséquences" vient de commencer. 

Insistons également sur le fait que le réchauffement climatique n'est pas la cause d'aucun évènements météorologiques. Dans chaque situation, il y a une part prépondérante de la variabilité naturelle, et les ondulations de la circulation atmosphérique ont toujours existé et existeront toujours. Cependant, le réchauffement rend ces évènements à la fois plus probables et plus extrêmes.

Nous vous remercions d'avoir pris le temps de lire, et de votre fidélité à Prévisions Météo Belgique.


2 commentaires:

  1. Article passionnant et très pédagogique pour la néophyte que je suis! merci aux rédacteurs.
    Si Paix contribue à ce blog, je tiens à le remercier de sa participation au forum d'Infoclimat, qui a beaucoup pâti de son départ.

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  2. Yep, c'est bien Paix qui est un des participants à ce blog :p Heureux d'avoir pu vous être utile ;)

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