Introduction
À travers ce billet, nous voudrions montrer que la fonte de la banquise, Nadine, et les
événements météorologiques de Septembre, sont bien liés et procèdent d’une même perturbation généralisée de la
circulation atmosphérique de l’Hémisphère Nord. Dès l’introduction, précisons qu’il n’est absolument pas question ici d’établir un lien direct entre le
réchauffement climatique et les évènements météorologiques des dernières
semaines. La variabilité naturelle du climat a toujours amenée des périodes de
temps extrêmes, et nul ne peut dire que le réchauffement a causé la sécheresse
ou l’ouragan. Cependant, nous pouvons être sûrs que le réchauffement a tenu un
rôle dans la survenue de ces récents évènements. Tel que nous le développions
dans le premier billet, la perte de la banquise arctique est un accélérateur du
changement climatique. Et les conséquences sur la circulation atmosphérique sont
à la démesure de la fonte massive de cette glace de mer. Nous voudrions donc
ici, après les généralités du premier billet, discourir plus spécifiquement de
ce mois de Septembre, montrer que Nadine est un cas unique dans l'histoire connue des cyclones tropicaux, et montrer que l’évolution rapide de la situation en
Arctique a atteint un point de basculement, avec des conséquences sur tous les
autres systèmes physiques qui lui sont adossés.
D’autres facteurs concourent cependant à perturber la météorologie
de l’Hémisphère Nord. Et font que la réponse au réchauffement climatique n’est
pas simplement un temps plus chaud en moyenne. Ces autres facteurs sont le
retrait plus précoce de la neige au Printemps, et la modification de la
convection tropicale.
Nous ne
parlerons pas ici de la fonte de Printemps des neiges, qui a un impact
similaire à celui de la perte de la banquise. Notons cependant
que des scientifiques soulignent que la sécheresse aux États-Unis est plus directement
une conséquence de la perte des neiges de Printemps que de la perte de la
banquise, mais l’un dans l’autre cela reste deux facettes des mêmes mécanismes
physiques qui entretiennent l'amplification Arctique.
En Septembre, la circulation atmosphérique de
l’Hémisphère Nord a ainsi été profondément perturbée, et nous aimerions alors mettre
en lumière la succession des évènements météorologique qui a affecté l’Europe
de l’Ouest en ce mois, afin d’illustrer de manière concrète les
théories scientifiques. Pour en revenir
à ce que nous disions, l’acteur majeur a donc été la perte de la banquise, mais
les anomalies de la convection tropicale ont également eu une influence
importante.
Avant de développer plus avant notre propos, nous voulons
ici présenter une vidéo qui résume l’opinion de quelques scientifiques au sujet
de l’état de l’Arctique, traduite par Prévisions Météo Belgique en français :
Notons aussi que Jennifer Francis estime dans une autre
interview que « le système a basculé de manière si importante que nous
sommes réellement dans un tout nouvel état pour le système Arctique », et rejoint ainsi l'opinion du Docteur Stroeve. C'est pour cette raison que la vidéo s'intitule "A new climate", c'est-à-dire "Un nouvel état climatique". Au mois de Septembre, le climat a basculé.
Fonte de la banquise Arctique
La banquise arctique est cette mince de couche de glace a la
surface de l’Océan. Elle atteint son maximum d’extension en Mars, et son
minimum d’extension en Septembre. La fonte de la banquise Arctique a été
massive cette année, de telle sorte que tous les précédents records ont été
battus, parfois dès le mois d’août. Durant le mois de Septembre, il manquait
environ la moitié de la normale en terme de superficie ; et les trois quarts
en terme de volume.
Ce graphique présente ainsi le volume de la banquise
minimale pour chaque année. Physiquement, le volume est le paramètre le plus
pertinent pour suivre l’évolution de la banquise. Or, il présente une
diminution très importante. La courbe rouge est une modélisation statistique qui
vise à décrire le comportement futur le plus probable.
Volume minimale de la banquise (survenant typiquement aux alentours du 10/15 Septembre) d'après les données du PIOMAS : http://psc.apl.washington.edu/wordpress/research/projects/arctic-sea-ice-volume-anomaly/ |
Et si nous observons la superficie de l’Océan couverte par la
banquise, nous observons bien le très fort recul de cette extension.
Superficie moyenne de la banquise durant le mois de Septembre, au sens du NSIDC : http://nsidc.org/arcticseaicenews/2012/10/ |
Ce recul a permis une très forte accumulation d’énergie dans
l’Océan. En effet, la banquise, très blanche, réfléchit la majorité du
rayonnement solaire ; alors que l’Océan, sombre, absorbe ce rayonnement et
se réchauffe d’autant. Ainsi, le long des côtes canadiennes, les eaux ont
ponctuellement atteinte 12°C à 14°C pour une normale de 2°C environ durant le
mois d’Août. Ceci illustre bien l’impact de la perte de la banquise, qui est
une véritable barrière énergétique quand elle est présente.
Anomalies des températures de surface de l'océan en Août 2012. Notons un anneau d'anomalie de l'ordre de 4 à 8°C là où la banquise est habituellement présente. Source : http://www.esrl.noaa.gov/psd/data/reanalysis/reanalysis.shtml |
Cette énergie se dissipe alors à l’Automne venu, et
contribue à réchauffer l’atmosphère. Ainsi, au cours du mois de Septembre, les
températures de surface ne se sont pas refroidies, mais au contraire se sont
maintenues stables, alors que l’Arctique entrait dans la nuit polaire. Les
températures n’ont alors eu aucun mal à battre le précédent record de 2003. Ce
graphique l’illustre, avec les données de la température de surface au nord du
65°N depuis 1949.
Température moyenne en Août et Septembre de surface dans l'Arctique. Source : http://www.esrl.noaa.gov/psd/data/reanalysis/reanalysis.shtml |
Le flux d’énergie, c’est-à-dire la puissance, ainsi généré est
équivalent à la présence d’une ampoule à incandescence placé chaque mètre carré
dans l’Arctique. En Septembre 2012, l’Arctique est devenu une source d’énergie capable de
stabiliser la baisse des températures malgré le cycle saisonnier. Pour illustrer, nous pouvons regarder la température de la masse d'air (vers 1500 mètres d'altitude) dans l'Arctique
De plus, l’énergie accumulée mettra beaucoup de temps à se
dissiper. Notons par exemple qu’au large des côtes Canadiennes, les eaux sont
encore à des températures de 4°C à 6°C, et qu’il faudra encore au moins un mois et demi
avant de revenir ne serait-ce qu’au point de congélation en surface, en sachant
que l’énergie accumulée en profondeur restera probablement présente.
La remarque du docteur Francis et du Docteur Stroeve est ainsi tout à fait
justifiée. Le système Arctique a profondément évolué, et commence à se comporter
comme un Arctique périodiquement libre de glace. Les conséquences de l’effondrement
de la banquise Arctique deviennent donc particulièrement sensible.
Nadine
Nadine s’est finalement dissipée le 04 Octobre, après une
histoire météorologique rocambolesque. Nous retiendrons bien sûr sa très longue
durée de vie, qui fait de Nadine un des cyclones tropicaux les plus persistants
de l’Atlantique. Il a ainsi existé pendant 21.75 jours (non consécutifs), soit la
cinquième plus longue durée de l’histoire des records de l'Atlantique Nord. Nous irons cependant plus loin en disant que Nadine
est même un cas exceptionnel qui n’a pas de réel précédent dans l’histoire
connu des cyclones tropicaux.
Les cyclones tropicaux n’adoptent pas le même comportement
lorsqu’ils sont dans la zone tropicale au sens météorologique, et lorsqu’ils en
sortent. Sous les tropiques, les cyclones tropicaux se déplacent plus
lentement, généralement d’Est en Ouest, s’intensifient plus facilement, et durent
plus longtemps. Au contraire, en dehors des régions tropicales, les cyclones
tropicaux se déplacent rapidement, généralement d’Ouest en Est, et sont à
enclin à persister plus qu’à s’intensifier. Le comportement de Nadine, à savoir
son déplacement lent d’Est en Ouest, son intensification en ouragan, sa très
grande persistance, est typique de celui d’un cyclone tropical sous les
tropiques au sens météorologique. Or, les
précédents ouragans croisant dans les parages des Acores n’avaient jamais
adopté un tel comportement. Les quelques cas approchant plus ou moins ce que
nous a fait Nadine sont l’Ouragan Emily de 1976, l’Ouragan Ivan de 1980, et la
tempête tropicale Edouard de 1990.
Les archives des cyclones tropicaux remontent jusqu’en 1850,
mais il n’est pour autant pas possible de trouver un seul cyclone tropical qui soit
comparable à Nadine. Ainsi, cet ouragan très particulier est sans doute une
illustration de la remontée vers le nord de la zone de convection tropicale.
En effet, il existe sous les tropiques une circulation zonale, c’est-à-dire dans le sens
Est/Ouest ou dans le sens Ouest/Est, qui est appelé la circulation de Walker. De
même, il existe une circulation dans le sens Nord/Sud ou Sud/Nord qui est
appelé la circulation de Hadley. Ces deux circulations, sous l’effet du
réchauffement climatique, ralentissent sensiblement. De plus, la circulation de
Hadley tend à s’élargir, et la convection tropicale à remonter au Nord. Cette
perturbation de la circulation de Hadley et de Walker impacte également la
propagation des ondes planétaires dont nous parlions dans le premier article du
blog. La
littérature scientifique a déjà documentée avec détail un élargissement et un affaiblissement de la
cellule de Hadley.
La particularité de Nadine est donc d’être une illustration de
cette dynamique. Les cyclones tropicaux sont des entités particulières dans le
bestiaire des phénomènes météorologiques. Ils sont en effet caractérisés par
des effets de seuils très important, tout en étant peu fréquent mais
relativement facile à suivre. Ainsi, l’élargissement de la cellule de Hadley est
un phénomène continu qui ne peut être détecté que par des moyens sophistiqués.
Par contre, le bond vers le Nord de la zone tropicale qu’illustre Nadine est
visible par tout le monde et est sans précédent depuis au moins 160 ans.
L'ouragan Nadine au Sud-Ouest des Azores, le 17 Septembre. Source : http://www.ssd.noaa.gov/ |
De plus, les péripéties de Nadine, en dehors de son aspect
illustratif, ont eu des impacts très concrets pour l’Europe de l’Ouest, comme
nous allons le voir. Notons que, contrairement au recul de la banquise qui a
des conséquences ubiquitaires, les aventures de Nadine sont restées un problème
local. Le facteur dominant de la perturbation du climat durant l'année 2012 a été le
retrait très précoce la couverture neigeuse, puis l’effondrement de la
banquise.
Le mois de Septembre pour l’Europe de l’Ouest
L’amplification Arctique a fortement perturbé la circulation
atmosphérique de l’Hémisphère Nord. Cette carte présente l’altitude du
géopotentiel 500 hPa, c’est-à-dire simplement l’altitude à laquelle la pression
est égale à 500 hPa dans l’atmosphère (pour rappel, la pression de surface est
1 013 hPa et décroît avec l’altitude). Cette altitude dépend en grande
partie de la température.
Altitude du géopotentiel 500 hPa en Septembre 2012. Source : http://www.esrl.noaa.gov/psd/data/reanalysis/reanalysis.shtml |
Normale de l'altitude du géopotentiel 500 hPa. Source : http://www.esrl.noaa.gov/psd/data/reanalysis/reanalysis.shtml |
Nous pouvons de nouveau noter que le mois de Septembre a été
marqué par des ondulations à travers l’Hémisphère Nord, mais également par une
remontée vers le Nord de la zone tropicale (couleur rouge et orange plus
marquée et plus au Nord). Pour l’Europe
de l’Ouest, nous pouvons noter un basculement des bas géopotentiels (couleur
bleues) en notre direction, alors que les hauts géopotentiels remontent vers le
Groenland. Ce schéma de circulation tend à devenir récurrent ces dernières
années, et de lourds soupçons pèsent en faveur d’un lien avec l’évolution du
système climatique Arctique. Par ailleurs, cette tendance complexifie grandement
la prévision saisonnière, car elle n’était absolument pas prévue, et en l’état
actuel de nos connaissances, n’aurait pas du survenir dans les conditions qui
ont été celles du mois de Septembre. Nous naviguons donc en plein inconnu, remettant en cause les tentatives de prévisions saisonnières…
Ainsi, le temps pour l’Europe de l’Ouest aura été dominé en
ce mois de Septembre par une circulation d’air maritime ou polaire.
En bonus, cette vidéo de l’Eumetsat illustre notre mois de
Septembre, vu de l’espace, pour l’Europe :
Karin
Karin a une histoire fortement influencé par la tempête
tropicale Nadine. L’origine de Karin peut être remontée à une interaction entre
la masse d’air tropicale en circulation autour de Nadine, et un creux
barométrique d’altitude (une zone de basses pressions sans circulation fermée).
L’image du 21 Septembre met en évidence cette origine partiellement tropicale
de Karin (noté ici « 1 », elle n’était alors qu’en cours de formation
et sa dénomination non connue à la date de modification de l’image) :
Nadine et la future tempête Karin, le 21 Septembre. Source : http://www.ssd.noaa.gov/ |
Par la suite, sur cette image un peu particulière qui
représente le contenu en eau de l’atmosphère, nous pouvons noter un panache
d’humidité tropicale qui alimente Karin :
L'interaction entre Nadine et Karin, le 23 Septembre 2012. Source : http://tropic.ssec.wisc.edu/ |
Cette injection d’air chaud et humide renforcera le conflit
de masse d’air dans un contexte de descente d’air polaire récurrent que nous avons soulignons
précédemment. De plus, c'est ce qui a compliqué la prévision. L'interaction entre Nadine, qui est de nature tropicale ; et les systèmes météorologiques des latitudes moyennes ; a été particulièrement délicate à gérer. Cette injection d'air tropicale chaud et humide a grandement renforcée le conflit de masse d'air. Ainsi, si Karin n’aura pas
été spectaculaire et n’a pas provoqué de dégâts notable, celle qui a affecté
l’Europe du Nord-Ouest du 23 au 26 Septembre a cependant pu soutenir des vents
de force 10 sur l’échelle de Beaufort – c’est-à-dire au moins 90 kilomètres par
heure- ce qui peut la faire qualifier de « tempête ». Des rafales
entre 110 et 115 kilomètres par heure ont été enregistrées en Mer du Nord et
sur la côte Ouest des Pays-Bas le 24 Septembre. À Ijmuiden a été relevé une valeur de 116 km/h, et sur une plate-forme pétrolière une valeur de 108 km/h.
Karin est d'ailleurs remarquable pour être la plus forte tempête depuis
30 ans durant le mois de Septembre au Pays-Bas.
Inondations en Espagne
Durant les journées du 27 au 29 Septembre, des pluies
diluviennes ont dévasté le Sud de l’Espagne. Les fortes précipitations sur le
Sud de l’Espagne sont dues à la conjonction de deux entités météorologiques.
D’une part, une goutte froide -c’est-à-dire une dépression
d’altitude coupée de la circulation atmosphérique avec une masse d’air froide
isolée en son sein- alimentées par les descentes polaires récurrentes s’est positionnée durant les derniers jours de Septembre sur
le Sud de l’Espagne.
D’autre part, la remontée très anormale de
Nadine vers le nord a généré un flux d’humidité tropicale en direction du Sud de l’Espagne.
L’animation du jour précédent, le 26 Septembre, montre bien
la descente polaire au large de la Bretagne. De même, Nadine à l’extrême Ouest
de l’image génère un panache de convection tandis que l’air polaire descend
depuis la Norvège à travers la Grande Bretagne jusqu’à l’Espagne :
Animation des images satellites du 26 Septembre 2012. |
Sur les cartes du contenu en eau de l’atmosphère, nous
remarquons à nouveau une anomalie très marquée qui remonte à Nadine.
Flux d'air tropicale humide en direction de l'Andalousie, généré par Nadine, le 27 Septembre 2012. Source : http://tropic.ssec.wisc.edu/ |
Conclusion
Ici, nous nous sommes focalisés sur l'Europe en ce mois de Septembre. Cependant, les effets de la perturbation de la circulation atmosphérique se font bien-sûr ressentir ailleurs. La sécheresse aux États-Unis persiste. En Inde et au Pakistan, la saisons des pluies, appelée la mousson, a d'abord été anormalement sèche, puis s'est brusquement intensifié en ce mois de Septembre, provoquant des inondations dévastatrices et meurtrières. Ainsi, les effets du changement climatique deviennent de plus en plus sensibles. La difficulté conceptuelle est sans doute que la réponse n'est pas simplement un réchauffement linéaire. Les sécheresses comme les inondations sont par exemple plus fréquentes, ce qui n'a rien de contradictoire. Le ralentissement de la circulation atmosphérique provoque des blocages plus fréquents, qui sont associés à des évènements extrêmes. Pour reprendre l'expression d'un blogueur anglophone, "l'âge des conséquences" vient de commencer.
Insistons également sur le fait que le réchauffement climatique n'est pas la cause d'aucun évènements météorologiques. Dans chaque situation, il y a une part prépondérante de la variabilité naturelle, et les ondulations de la circulation atmosphérique ont toujours existé et existeront toujours. Cependant, le réchauffement rend ces évènements à la fois plus probables et plus extrêmes.
Nous vous remercions d'avoir pris le temps de lire, et de votre fidélité à Prévisions Météo Belgique.
Article passionnant et très pédagogique pour la néophyte que je suis! merci aux rédacteurs.
RépondreSupprimerSi Paix contribue à ce blog, je tiens à le remercier de sa participation au forum d'Infoclimat, qui a beaucoup pâti de son départ.
Yep, c'est bien Paix qui est un des participants à ce blog :p Heureux d'avoir pu vous être utile ;)
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