mercredi 7 novembre 2012

New York tombe à l'eau

L'ouragan Sandy a eu un impact non-négligeable sur la vie de la côte Est des États-Unis, à tel point que l'élection présidentielle de ce pays s'en est trouvée bouleversée. Comme à chaque événement météorologique de ce type, les médias, qui n'ont pas été en reste dans les exagérations ces derniers jours, se sont posés la question du lien possible entre réchauffement climatique et Sandy. Ce qui suit est une analyse de ce possible lien tout en faisant en parallèle un rappel de la trajectoire de Sandy et de son développement dans la zone caribéenne.



Histoire d'un cyclone tropical


Sandy est née le 22 octobre entre la Colombie et la Jamaïque en tant que Dépression Tropicale 18.



Son déplacement Est-Ouest traditionnel pouvait laisser penser qu'elle n'irait pas bien loin puisque Panama se trouvait dans la ligne de mire. Néanmoins, comme le veut un peu la tradition fin octobre et en novembre, les systèmes tropicaux ont tendance à remonter vers le Nord d'une manière assez brutale, repris par le courant Jet qui commence à s'enfoncer fort vers le Sud à l'approche de l'hiver. Par exemple, l'ouragan Paloma, né début novembre 2008, s'était dirigé en son temps directement vers le Nord, et s'était intensifié jusqu'à 230 km/h, causant 300 millions de dollars à Cuba. L'exemple de Paloma, bien qu'il soit assez extrême, nous montre que l'intensité de Sandy n'a rien d'exceptionnelle. Le 23 octobre, la TD18 est bien devenue Sandy, avec des vents de force tempête tropicale de 65km/h, mais dans une mer chaude à 29º, cela est tout à fait banal. Le paramètre le plus significatif de Sandy à ce moment-là est la quantité de précipitations : Haïti, la Jamaïque et l'Est de Cuba ont reçu entre 400 et 600m de pluies en moins de 2 jours, ce qui est fort élevé pour un système de ce type. Cela est dû essentiellement à la hauteur des mouvements convectifs qui montaient jusqu'à 15 kms d'altitude. L'image suivante montre ces "tours chaudes" qui dégagent de la chaleur latente nécessaire pour une intensification du cyclone :


De fait, le National Hurricane Center lance les premiers avertissements et alertes à l'ouragan pour la Jamaïque le soir du 23 octobre. Cette vidéo issu de la NASA :



montre bien le développement de Sandy dans la mer des Caraïbes. En arrivant sur Cuba, elle s'est même intensifiée en ouragan de catégorie 2 avec des vents à 165 km/h.

Après avoir passé Cuba, la structure de Sandy se désorganise quelque peu. Elle remonte alors vers le Nord et reste un ouragan de catégorie 2. Elle commence cependant à évoluer vers un système hybride. Elle garde un cœur chaud caractéristique des cyclones tropicaux, et reste donc considérer comme un ouragan. Cependant, l'organisation de sa convection n'est plus celle d'un cyclone tropical, et Sandy parvient à se maintenir malgré un très fort cisaillement de vent. En longeant les Bahamas le 25 et 26 Octobre, de profonds changements structurels sont ainsi visible :

Sandy le 25 Octobre 2012 en tant qu'ouragan de catégorie 2
Sur l'image satellite, le cœur de l'ouragan est nettement visible avec cette apparence de "donut". L’œil se distingue au milieu de la masse convective. Autour se développe cependant une circulation qui n'est plus tout à fait tropicale. Sandy faiblit progressivement les jours suivants, et devient même très brièvement une tempête tropicale le 27 Octobre. Puis Sandy se renforce à nouveau grâce à l'interaction avec un creux barométrique d'altitude. Un creux barométrique est une zone de basse pression qui ne présente pas une circulation fermée. Sandy devient alors un ouragan de catégorie 1, mais très atypique. Sa pression est très basse puisse qu'elle s'établit entre 950 hPa et 960 hPa. Classiquement, cela correspond à des vents de 200 km/h pour un ouragan. Pour autant Sandy ne soutient des vents qu'à 120 ou 130 km/h. La très grande différence entre la vitesse de vent normalement attendue et la vitesse de vent observée tient à la taille gigantesque de Sandy, qui n'est plus "concentrée" en une petite zone de vents très fort, mais "dispersée" en une très large zone de vent moyens.  
Ainsi, Sandy s'étend en superficie. Les vents de force tempête tropicale (plus de 63 km/h) s'étendent jusqu'à 1 000 kilomètres du centre dans le quadrant Nord-Est, et le diamètre totale de la tempête approche les 1 900 kilomères. Cette très grande taille explique l'importance de l'onde de tempête. En effet, si les vents n'ont pas été très puissant, Sandy a malgré tout libéré une importante énergie car ils se sont produits sur une très grande superficie.
L'image satellite montre le creux, qui est matérialisé par une écharpe nuageuse de la Floride au Canada, et Sandy qui interagit avec lui.

Image visible de Sandy, le 28 Octobre 2012

Cette évolution est confirmé par le satellite TRMM (Tropical Rainfall Measuring Mission).

Altitude des nuages recomposés grâce aux données du satellite TRMM, 28 Octobre 2012

Le centre de l'ouragan, avec un mur de l’œil et un œil, sont clairement visible.  Pour autant, la convection la plus puissante, visible avec ses "hot towers" en rouge, se produit à l'extérieur du mur, dans la circulation périphérique au Nord et à l'Ouest de Sandy -une comparaison peut être faite avec la première image du genre, juste au dessus, qui révèle bien cette différence-.

Le 29 Octobre, Sandy évolue finalement vers un cyclone purement extratropicale juste avant de s'échouer. Elle n'est alors plus ouragan. Cependant, cette évolution ultime permet même un bref renforcement de Sandy, ses vents accélèrent quelque peu jusqu'à 150 km/h, et une onde de tempête massive déferle sur la côte Est.

Image visible de Sandy le 30 Octobre 2012

Cette image montre de manière original le vent de surface le 30 Octobre aux États-Unis après l'échouage de Sandy. La circulation cyclonique fermée est clairement identifiable. 
Champ de vent de surface, le 30 Octobre 2012

Sandy remonte alors vers le Nord en s'affaiblissant rapidement. Elle dégénère en une dépression résiduelle le 31 Octobre, et le tourbillon résiduel sera repris dans la circulation d'Ouest début Novembre. 

Passage de Sandy


Si le fait a été peu médiatisé, les premières conséquences de Sandy concernent les Antilles. Le 24 Octobre, pour la première fois depuis 24 ans, la Jamaïque est directement touché par un ouragan (il est fréquent qu'un cyclone tropical croise cette île, mais l'échouage direct d'un ouragan est rare). Puis, entre le 24 et le 25 Octobre, ce sont Cuba, Santo Domingo, Haïti et Puerto Rico qui sont touchés. Au total, Sandy a provoqué au moins 68 morts et causé pour au moins 2 milliards de dollars de dégâts . Ici sur les plages de Jamaïque :

Et ici, à Cuba, devant le débordement d'une rivière locale.


Pour Cuba, il s'agit d'un des pires ouragans de son histoire. Sandy, alors qu'elle était à son intensité maximale, est passé juste à l'Ouest de la deuxième ville du pays, Santiago de Cuba, qui a été sévèrement touché. 
Le 26, les Bahamas sont concernés à leur tour, mais ils évitent le plus gros de l'ouragan :

Par la suite, ce seront les États-Unis qui seront touché. La taille de Sandy génère une houle cyclonique importante qui affecte tout les États de la côte Est, de la Floride à la Nouvelle-Angleterre. Ces vagues concerne la Floride le 26 :

Puis Sandy remontant vers le Nord, elle s'échoue dans le New Jersey, avec des conséquences majeures. New York City notamment est partiellement inondé, de même qu'un grand nombre de villes côtières :
Les images prises depuis les airs dans le New Jersey -au Sud de New York- révèle l'ampleur des dégâts :

Une autre conséquence assez surprenant est la tempête de neige qui affecte la Virginie de l'Ouest. Pour être très clair, Sandy n'a pas directement causé ces chutes de neiges. Un cyclone tropical ne peut pas provoquer de la neige, ceci est totalement impossible. Cependant, l'interaction entre le creux barométrique et l'ouragan Sandy que nous mentionnons précédemment a effectivement eu pour conséquence de la neige dans certains États :
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Sandy et le réchauffement climatique


Très rapidement, et avant même que Sandy ne s’échoue sur la côte Est, un lien possible entre le réchauffement climatique et Sandy a été évoqué, tant par les médias que par les scientifiques. Il s’agit d’une question d’importance, car Sandy est quelque part devenu un symbole des effets du réchauffement climatique dans les médias. Il s’agit là cependant d’une question délicate. Il est très difficile et risqué de lier un événement en particulier au réchauffement climatique. Le réchauffement climatique modifie l’état de base de l’atmosphère, alors que Sandy est un événement ponctuel. Nous ne savons pas ce qui aurait pu se passer si le réchauffement climatique n’avait pas eu lieu. Dans le même temps le réchauffement climatique a si profondément modifié l’état de base de l’atmosphère qu’il a nécessairement eu un rôle dans le déroulement des évènements. C’est de cette ambiguïté que procède les réponses apparemment si différentes des différentes scientifiques. Certains préfèrent souligner que le réchauffement climatique a nécessairement eu un rôle. D’autres préfèrent éviter les conclusions hâtives sur le sujet, ou même s’inquiètent de la politisation du sujet. Ces différentes positions n’ont cependant rien de contradictoire. 
En fait, il s'agit exactement de ce qu'il s'est passé avec l'onde de tempête. La hausse du niveau de la mer depuis deux siècles n'a pas provoqué l'onde de tempête. Par contre, la modification de l'état de base a alourdis les conséquences de cet aléas. Les vagues par dessus la marée au final sont montés plus haut car la marée était plus haute.

Modification de la circulation atmosphérique

 

Nous l’avions déjà noté pour Nadine et Gordon, et Sandy ne fait qu’ajouter à la charge de preuve, les cyclones tropicaux cette année tendent à avoir un comportement tropical très au Nord, et en tout cas en dehors de la zone tropicale au sens géographique. Tout comme pour Nadine, la trajectoire de Sandy est très atypique et se caractérise par une circulation d’Est en Ouest même par une latitude de 40°N. Tout comme pour Nadine, Sandy s’est retrouvé bloqué au Sud d’une remontée très anormalement au Nord d’une crête anticyclonique. Durant la dernière décade, de très fortes anomalies positives de géopotentiel –anomalie anticyclonique- ont concerné le Nord de l’Atlantique Nord et ont matérialisé la persistance d’une récurrence inédite de blocages atlantiques avec une remontée de la ceinture anticyclonique subtropicale vers le Nord. Cette configuration a permis à Sandy de circuler d’Est en Ouest, et de frapper la côte Est de manière pratiquement optimal en ce qui concerne la trajectoire. Si pour Nadine il n'y avait eu aucun précédent, notons tout de même que pour Sandy, il existe un précédent. Il s'agit de l'ouragan vagabond de 1903. Cependant, sur certains détails, Sandy est nettement plus atypique, notamment par sa trajectoire plein Ouest alors que l'ouragan de 1903 était quasiment orienté au Nord. De même Sandy est nettement plus tardive.

Anomalie de la hauteur du Z500 du 21 au 31 Octobre 2012
Sur les données de la réanalyse, une très importante anomalie se manifeste au dessus de l'Arctique, signe de la perte de la banquise. Côté Atlantique, l'anomalie sur le Groenland a complément bloqué la circulation de Sandy vers le Nord, qui a alors été forcé de s'échouer dans le New Jersey. Notons également qu'il n'y a aucune commune mesure entre les anomalies négatives, de l'ordre de 60 à 100 mètres en moins rapport à la normale ; et les anomalies positives de l'ordre de 250 à 350 mètres en plus.

Sandy et le réchauffement de l'océan


Sandy a également pu profiter d'un océan anormalement chaud, qui approche ou dépasse même les niveaux records. Ce graphique illustre ce fait, avec les températures de surface de l'Océan à l'Est des États-Unis. La tendance au réchauffement est claire, et 2012 enregistre même la plus forte valeur :  
Température de surface de l'Océan à l'Est des États-Unis en Octobre, dans la région où est passé Sandy
Cette Océan a fourni la réserve de chaleur et d'humidité nécessaire à un renforcement marqué de Sandy. Il peut s'agir là d'une contribution supplémentaire du réchauffement.

Sandy et l’onde de tempête

 

Un ouragan génère une onde de tempête, c’est-à-dire un rehaussement du niveau de la mer qui vient par-dessus la marée. Sandy a touché la côte Est au moment de la marée haute, ce qui as ajouté une hauteur d’eau supplémentaire. Ainsi, à Battery Park, station de référence pour Manhattan, l’Océan est monté de 4.2 mètres au total. Cette hausse se décompose entre une marée de 0.5 mètre et une onde de tempête de 3.7 mètres. La marée haute est une des raisons qui explique l’importance des débordements.
De plus, la hausse du niveau de la mer causé par le réchauffement climatique a amplifié la marée. Depuis un siècle, la mer est monté de 0.3 mètre environ, ce qui implique qu’une partie de la marée de tempête est directement imputable au changement climatique.Ce 0.3 mètre supplémentaire peut sembler peut, mais cela a fait une différence cruciale dans l’inondation du métro new-yorkais par exemple.
De plus, Sandy n'est pas le pire scénario. Pour le montrer, notons que ce scénario du pire est envisage ainsi :

      


Ceci sans tenir compte de la poursuite de la hausse du niveau de la mer.D'ici 2050, le niveau de l'océan pourrait localement être monté de 0.5 à 1 mètre, qui s'ajouterait aux chiffres de cette carte.Ainsi, Sandy n'est qu'un avant-goût, des aléas naturels bien plus important restant à venir.
      

Cassandre

 

Par une curieuse ironie de l’histoire, Sandy est le diminutif du diminutif du prénom d'une divinité grecque, Cassandre.Cassandre peut voir l'avenir, et annonce la guerre de Troie, mais personne ne la croit.
Sandy est déjà une catastrophe en  soi, et matérialise les risques auxquels sont exposées les villes côtières. Quelque que soit la part exacte du réchauffement climatique dans le déroulement des événements,les dégats sont énormes. Et malgré les avertissements des scientifiques à ce sujet, nous avons eu peine à les croire. 
Les enseignements à tirer de Sandy sont également ceux de notre vulnérabilité. Nous négligeons dans le traitement médiatique l'impact sur les Antilles car -Cuba en particulier- cela nous évoque pas grand'chose d'autre que des pays lointain et en cours de développement. Par contre, l'impact sur New York est hautement symbolique. C'est la ville monde, celle que tout le monde connait, et représente le mieux la culture américaine et notre civilisation. Sandy est parfois comparé aux attaques du 11 Septembre 2001 car il y a une brutale désillusion. La vulnérabilité de notre civilisation nous apparait directement. Le choc pour les États-Unis a été rude. Mais surtout, Sandy n’est pas le pire scénario possible ; et elle matérialise autant qu'elle annonce les futures catastrophes.  
 

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